S’il est un personnage essentiel dans l’équipe rassemblée autour de Pierre-Georges Latécoère, c’est bien Marcel Moine, élément clé de la construction de la plupart des avions en service sur la Ligne Toulouse-Santiago et tout particulièrement le Laté 28 qui permettra à Jean Mermoz de traverser l’Atlantique Sud.
Né à Orléans le 11 février 1894, Marcel Moine obtient le diplôme d’ingénieur des Arts et Métiers à Angers en 1913. Dispensé pour raison de santé des obligations militaires, il commence sa carrière à la Compagnie des Chemins de fer du Nord. Engagé dans l’entreprise Voisin en 1916, il entre dès lors dans la grande famille de l’industrie aéronautique.
Formé aux techniques de construction d’avion, il est recruté par Pierre-Georges Latécoère en mai 1918. Il va l’aider ainsi à monter l’unité d’industrialisation des Salmson dans la nouvelle société aéronautique installée à Toulouse-Montaudran et dont la production est gérée alors par Émile Dewoitine. La signature de l’armistice en novembre 1918 ayant interrompu les productions de guerre, l’entreprise Latécoère se tourne vers les applications civiles. Dès le début de « La Ligne », Marcel Moine se consacre, avec l’aide d’une remarquable équipe d’ingénieurs et de mécaniciens formés par ses soins, à l’entretien et à la restauration du matériel de guerre racheté à l’État. Cependant, l’aviation commerciale, dont le propre est de voler par tous les temps, exige des avions plus performants et de meilleurs moteurs. Considéré à l’époque comme le meilleur spécialiste de la résistance des matériaux, il devient, à partir de 1920, la tête pensante du bureau d’études Latécoère en qualité d’ingénieur en chef, Émile Dewoitine ayant décidé d’exercer seul ses talents en créant une autre entreprise.
Ainsi, après de nombreux essais en 1919, naissent le Laté 2, monomoteur, entoilé à structure en bois, puis le Laté 3, également entoilé, mais à structure en métal. En 1920, apparaissent le Laté 6, avion militaire de conception métallique, et le Laté 10, avion civil à structure en bois. En 1927, sortent les appareils Latécoère 25 construits en soixante exemplaires pour les lignes aériennes de l’Amérique du Sud. Équipés d’un moteur 450 cv Renault ou 650 cv Hispano, ils permettent d’ores et déjà le franchissement régulier, avec un minimum d’incidents de vol, de distances considérables dépassant 4000 kilomètres.
Viennent ensuite le Laté 26 à moteur Renault, qui peut atteindre Dakar sans escale depuis Toulouse, puis la série des Latécoère 28 dont le Laté 28-3 équipé de flotteurs et d’un moteur 650 cv Hispano. Ce dernier permettra à l’équipage, composé de Jean Mermoz (pilote), Jean Dabry (navigateur) et Léopold Gimié (radio), de franchir l’Atlantique Sud (3000 km) d’un seul coup d’aile les 12 et 13 mai 1930 en 21 heures et 24 minutes. Le Laté 28 sera construit en cinquante-deux exemplaires ; d’une solidité à toute épreuve et d’un rendement élevé, il offrira en outre des conditions de confort remarquables pour l’époque.
En 1930, confirmé comme directeur des études, Marcel Moine s’oriente vers de nouvelles conceptions. Le bois disparaît quasiment pour faire place à des structures en métal, en particulier en duralumin. Sont alors conçus les grands hydravions Laté 298, construits en quatre-vingt-six exemplaires comme torpilleurs rapides pour la Marine nationale, le Laté 300, plus connu sous le nom de « Croix du Sud », d’un poids de 42 tonnes, premier hydravion français transatlantique Nord et à bord duquel Jean Mermoz disparaîtra le 7 décembre 1936 avec tout son équipage (Alexandre Pichodou, copilote, Henri Ezan, navigateur, Edgar Cruveilher, radio et Jean Lavidalie, mécanicien).
Les suivants seront les super-géants comme le Latécoère 521, appelé « Lieutenant de Vaisseau Paris », appareil hexamoteur, d’un poids de 42 tonnes, premier hydravion français transatlantique Nord, mais aussi le Latécoère 523, mis aux mains d’officiers pilotes de la Marine dont celui qui devint l’amiral Hébrard. Ces deux hydravions sillonnèrent l’Atlantique Nord et Sud et battirent de nombreux records. Grâce à cette nouvelle génération d’hydravions, l’objectif tant désiré fut atteint : la liaison aérienne Toulouse-Buenos Aires est réalisée en 1934.
Dès 1937, Pierre-Georges Latécoère crée une autre usine près de Bayonne et Marcel Moine, en tant que directeur général technique de la société, supervise l’ensemble des deux usines. En 1940, après l’association éphémère entre les Sociétés Latécoère et Bréguet, une nouvelle usine est construite dans le quartier de La Roseraie à Toulouse et Marcel Moine en assure la direction. Il poursuit alors la construction des hydravions à long rayon d’action.
L’armistice, en juin 1940, arrête l’exécution des projets militaires et, dès le mois d’août, les travaux continuent sur le Laté 631 « Lionel de Marmier », hydravion hexamoteur d’un poids de 75 tonnes, destiné à la traversée de l’Atlantique Nord et dont les performances sont remarquables. Durant cette période, des études intenses sont menées pour créer des avions long-courriers d’un poids de 150 à 200 tonnes. Pendant l’Occupation, Marcel Moine parvient, avec courage et obstination, à ne pas répondre aux ordres des Allemands et réussit à préserver son Laté 631 n°2, caché en pièces détachées dans des fermes de la région toulousaine.
Pierre-Georges Latécoère disparaît en 1943 et Marcel Moine assume, à partir de ce moment-là, la pleine responsabilité de l’entreprise, avec l’entière confiance de l’héritier, Pierre-Jean Latécoère. Fonction qu’il assurera avec clairvoyance et talent jusqu’au jour de sa retraite, en 1975. Il sera confronté à la formidable mutation technologique liée à l’informatisation des procédés d’études. La Société Latécoère s’orientera vers l’industrie des matériels spécifiques, en particulier des missiles. En développant ce secteur d’activité, elle crée dès 1960 un domaine de compétences innovant : l’électronique des asservissements et du guidage dont le devenir sera considérable.
En 57 ans de vie professionnelle, Marcel Moine, calme et discret, d’une totale fidélité à Pierre-Georges Latécoère qu’il admirait tant, a mené sa mission avec brio et rigueur. L’un de ses grands mérites est aussi d’avoir réuni autour de lui des ingénieurs et des mécaniciens de haut niveau qui, à la demande de Didier Daurat, partirent sur tous les points chauds de la Ligne France-Amérique du Sud pour y accomplir des miracles de remise en état ou fonder des ateliers permanents d’entretien à des milliers de kilomètres de Toulouse : des hommes qui allèrent jusqu’au bout de leur devoir, jusqu’au bout de leur savoir, jusqu’au bout de leur vie. Marcel Moine fut, indiscutablement, un pilier indispensable des entreprises Latécoère, Pionnier de l’aéronautique française au plein sens du terme. Toute sa vie active fut consacrée à fournir aux pilotes, civils et militaires, l’outil qui leur permet de vaincre, chaque fois un peu plus, l’espace et le temps.
Marcel Moine s’envolera après eux le 2 juillet 1985.
Sources :
Amicale des Pionniers des Lignes Aériennes Latécoère-Aéropostale
« Cent ans d’aviation » (Yves Marc, Éditions Privat)
« Escale » (Martine Laporte)
« Éloge de Monsieur Marcel Moine » prononcé par Jean Laroche lors de la séance du 12 mars 1986 à l’Académie des Sciences de Toulouse.

