L’homme avec qui tout deviendra possible.

Imaginez deux hommes en 1907 à Paris sur les bords de la Seine, à la recherche d’un livre ancien sur Bonaparte chez un bouquiniste… Ils tentent l’un et l’autre de marchander le prix mais l’un des deux remporte l’objet de la convoitise. Pierre Georges Latécoère vient de rencontrer Beppo de Massimi qui devant sa mine déconcertée, l’invite à boire un verre.

il n’en fallait pas davantage pour sceller une indéfectible amitié sans laquelle l’aventure industrielle de Latécoère n’aurait pas connu le même destin. Quand il sentira la fin approcher en 1943, c’est à lui que Pierre Georges Latécoère confiera les dernières consignes pour le futur de son entreprise.

BEPPO DE MASSIMI : Un aristocrate italien au service de la France… Né le 3 août 1875 au sein d’une famille d’aristocrates italiens, licencié ès lettres, raffiné et aux relations choisies, le Marquis Beppo de Massimi a huit ans de plus que Pierre Georges Latécoère. Venant en France en récompense de ses études, il s’y installera définitivement et créera une entreprise d’émaillage (il obtiendra même deux brevets) et traduira de nombreux textes d’italien en français et de français en italien. Il n’hésite pas une seconde à s’engager sous les couleurs de son pays d’adoption le jour de la déclaration de guerre. Escrimeur et cavalier aguerri, il est un sportif convaincu et choisit l’aviation comme champ d’expérimentation qu’il exercera au sein de l’escadrille de reconnaissance C-227 au poste de lieutenant observateur de l’armée française dans une unité chargée de recruter pour créer une « arme aérienne ». Il se retrouvera dans l’Escadron
d’un certain Didier Daurat. Sa détermination et sa bravoure seront hautement récompensées par une croix de guerre, plusieurs palmes et une légion d’honneur. Il sera alors naturalisé français.

BEPPO DE MASSIMI : Un diplomate lié à la création de la ligne…
En automne 1917, à l’occasion d’une permission, il revoit Pierre Georges Latécoère à Paris qui lui confie alors son rêve secret de relier par voie aérienne l’Europe à l’Amérique du Sud.
Cette idée plait à Beppo de Massimi. Industriel aux idées folles pour l’un et négociateur habile et fin diplomate pour l’autre, ils vont ensemble désormais se vouer sans relâche à fonder la société des Lignes aériennes Toulouse-Casablanca-Dakar et au-delà si possible. Non seulement l’aventure envisagée va engendrer des problèmes techniques et physiques, mais elle va devoir livrer une bataille administrative et politique. Pierre Georges Latécoère s’acharnera et la boutade prononcée à l’époque « j’ai refait tous les calculs, ils confirment l’opinion des spécialistes : mon idée est irréalisable ; il ne me reste qu’une seule chose à faire : la réaliser » sera gravée à jamais dans sa vie.

Entre novembre 1918 et février 1919, les futurs patrons de la Ligne vont alors engager une partie très serrée en multipliant les entrevues auprès des autorités ministérielles de l’époque.
Sachant d’avance où vont se faire jour les premières grosses difficultés, Beppo de Massimi va s’installer à Madrid en qualité d’administrateur, Directeur Général de la Société des Lignes Aériennes Latécoère. En dépit de l’opposition d’une partie importante de l’opinion espagnole hostile à tout ce qui est Français, favorable à tout ce qui est allemand, Beppo de Massimi arrache les autorisations indispensables au survol du territoire Espagnol et à la mise en place des bases d’entretien et de réparation de Barcelone, Alicante, Malaga, vitales pour l’exploitation de la Ligne projetée. Plus que jamais, Beppo de Massimi joue les rassembleurs à compter du 1 er janvier 1919.

Parmi eux, Louis Delrieu, victorieux d’un zeppelin au-dessus des lignes ennemies, le commandant Jean Dombray, membre de la célèbre escadrille des Cigognes dirigée par Georges Guynemer, et Raymond Vanier as de la chasse. Et le 16 juillet, il recrute un jeune homme taciturne et discret qu’il avait connu à Chalons-sur-Marne alors qu’ils servaient au sein de l’escadrille C-227. Il s’appelle Didier Daurat qui obtient son brevet de pilote le 16 décembre et se lance un nouveau défi à la mesure de ses exigences et de sa conscience professionnelle. Sans tarder, Beppo de Massimi lui commande de devenir chef de l’aéroplace de Malaga qui sera un relais efficace, doté d’un atelier de réparation et de pièces de rechange pour les avions.

Pierre Georges Latécoère ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin et convoite alors le Maroc comme simple relais vers Dakar et pourquoi pas vers l’Amérique du Sud ? Beppo de Massimi a parfaitement reçu le message et dès que le tronçon Toulouse-Casablanca fonctionne régulièrement, il va obtenir les autorisations de survol du Rio de Oro avec utilisation des bases de Cap Juby et Villa Cisneros. De nombreux recrutements de pilotes et mécaniciens sont effectués et c’est l’époque où la Ligne va traverser une période funeste avec un grand nombre de pertes humaines dûes aux conditions météorologiques et à la faiblesse des moteurs souvent. Beppo de Massimi et Pierre Georges Latécoère sont conscients de la gravité de la situation et Pierre Georges Latécoère va dès le mois d’octobre 1920 nommer Didier Daurat comme directeur d’exploitation. Entre Avril et septembre 1927, Pierre Georges Latécoère est contraint de modifier le cadre juridique de la Ligne qui avait le tort aux yeux des pouvoirs publics, de confondre son existence et sa raison sociale avec celles d’autres sociétés aux intérêts différents si ce n’est contradictoires. La partie de la ligne « volante » est alors baptisée Compagnie Générale d’Entreprises Aéronautiques (CGEA) créée le 11 avril 1927 dont Beppo de Massimi sera membre du conseil d’administration. Les ateliers de construction seront placés sous le nom « la société industrielle d’aviation Latécoère (SIDAL).

A partir de cette époque, l’aérodrome et les usines, la CGEA et la SIDAL seront plus unis que jamais à Toulouse Montaudran. Alors que la ligne connaît des difficultés, Beppo de Massimi engage Joseph Roig qui sera l’homme désigné pour défricher la ligne de Casablanca à Dakar. Le pari est d’envergure. Le 3 mai 1923, la mission baptisée « Roig Casa-Dakar » à laquelle participe le diplomate, se tient prête au départ. Le Raid est un vrai succès et Beppo de Massimi le déclare à la presse en annonçant déjà l’extension du projet en Amérique du Sud et une ligne France Espagne Algérie et Tunisie. La ligne Casablanca-Dakar sera inaugurée le 1er Juin 1925. D’une longueur de 2850 km elle porte alors à 6030 km le développement total du réseau aérien exploité par la Compagnie Latécoère. Un certain Jean Mermoz sera affecté à la ligne Casa-Dakar au début de l’année 1926 et à la fin 1926 un nouveau pilote apparaît, Antoine de St Exupéry engagé à la CGEA par Beppo de Massimi suite à leur rencontre le 12 octobre 1926. Séduit par sa culture et son intelligence, il lui annonce en effet ce jour-là qu’après avoir subi les épreuves, il sera admis à piloter. Son discernement lui a également fait pressentir le rôle plus important qu’il aura en qualité de médiateur et de diplomate, notamment lors de son séjour à Cap Juby en qualité de chef d’aéroplace d’octobre 1927 à la fin 1928. St Ex lui dédiera plus tard son livre « le Petit Prince » – en écrivant « à l’homme qui m’a donné la vie que je rêvais
d’avoir ».

Au cours de cette même année, Pierre Georges Latécoère se rend en Amérique du Sud où il rencontrera Marcel Bouilloux Lafont auquel il cédera le 11 avril 1927, 93% des parts de la CGEA. Le 30 septembre 1927 nait alors la Compagnie Générale Aéropostale où Beppo de Massimi devient seulement actionnaire jusqu’à la liquidation totale de l’entreprise en 1933.
La société Air-France voit le jour le 30 août et consacrée au Bourget le 7 octobre 1933. Elle est le fruit d’une fusion de quatre entreprises de transport aérien et des actifs de la Compagnie Générale Aéropostale.

Le diplomate créera enfin en 1935 la compagnie Air-Bleu à l’initiative de Didier Daurat, nommé directeur d’exploitation, avec pour actionnaire principal Louis Renault via la Société des avions Caudron. Le nom Air Bleu a été choisi pour concurrencer Air-France et pour évoquer la rapidité d’acheminement du courrier, comparée à celle du « pneumatique » imprimé sur papier bleu. Le 10 juillet 1935, la compagnie inaugure d’abord avec six avions et plus tard avec douze, un service postal quotidien sur un réseau de quatre lignes : le Bourget-Arras-Lille, le Bourget-Rouen-Le Havre, le Bourget-Tours-Poitiers-Angoulème-Bordeaux, le Bourget-Nancy-Strasbourg. Elles seront complétées par deux autres lignes : Le Bourget-le Mans-Angers-
Nantes, et le Bourget-Bourges-Limoges-Toulouse. Un soutien financier sera assuré par Air-France en 1937 et permettra d’ouvrir une autre ligne Le Bourget-Bordeaux-Pau. A partir du 3 septembre 1939, Air Bleu sera intégré à Air-France et la guerre mettra malheureusement fin à la compagnie.

Dès lors, Beppo de Massimi décide de se retirer dans sa propriété de Voisins dans la commune française de Saint Ay dans le département du Loiret où il décèdera le 29 juin 1961. Le destin de Beppo de Massimi est lié à jamais à celui de Pierre Georges latécoère. De tempéraments différents mais complémentaires, les deux amis chemineront inlassablement sur la voie des airs pour créer ce lien si précieux entre les hommes que l’on a nommé la LIGNE.

Beppo de Massimi, un homme sans l’action duquel elle n’aurait peut-être pas existé. Il est l’auteur de l’ouvrage » Vent debout »: histoire de la 1ère ligne aérienne française.
Éditions Plon (Paris, 1949) 385 pages.

LE DIPLOMATE